L’enfer est pavé de campagnes de greenwashing. Et de SUVs.

Analyse d’une campagne de BMW qui met la barre très haut

Yannick Servant
16 min readDec 14, 2021

--

A. “L’enfer est pavé de bonnes intentions” (phrase attribuée à Saint Bernard, XIIème siècle)
B. “Les cons, ça ose tout, c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît” (Michel Audiard, 1963)

Il y a quelques semaines, je découvrais dans mon feed Linkedin une publicité pour la nouvelle BMW iX, déclinaison française d’une campagne mondiale pour la gamme électrique du constructeur allemand et son SUV, “flagship” technologique. Je la revois (très) régulièrement depuis et si le premier visionnage m’a fait sortir de mes gonds, les suivants m’ont fait me poser une profonde question métaphysique : derrière l’apparât de greenwashing de compétition de cette campagne, les humains qui en sont les géniteurs tombent-ils dans la catégorie A ou B ? Ou pire, dans les deux ?

Je vous propose une exploration en trois étapes pour tenter d’y répondre (l’étape qui m’intéresse le plus étant la troisième) :

  1. Un greenwashing de compétition
  2. Une cooptation culturelle millenial-friendly
  3. Du boomer-splaining plutôt effarant

I. Un greenwashing de compétition

La première publicité que j’avais vue faisait la promotion du SUV iX, je vais donc me concentrer sur celui-ci. L’argumentation tient bien sûr pour le reste de la gamme.

Il y a dans ce bas monde quelques bonnes raisons de rouler en SUV, parmi lesquelles :

  1. Vivre en montagne
  2. Être garde forestier
  3. Euh… pour tracter des chevaux dans la boue parce qu’on on est propriétaire de manège…? Je sèche un peu.

Il y a aussi dans ce bas monde beaucoup de mauvaises raisons de rouler en SUV, parmi lesquelles :

  1. La compensation phallique
  2. Le sentiment de sécurité (l’effet “mon char d’assaut démonte ta Smart”)
  3. Vouloir faire penser qu’on est plus riche qu’on ne l’est vraiment (le fameux “Effet Veblen”)

Dans tous les cas, il n’y aucune raison pratique de rouler en SUV lorsqu’on est urbain et ce d’autant plus que la ville qu’on habite est dense (1). On ne part du coup pas sur les meilleures bases du monde avec notre ami l’iX…

Le débat utile / pas utile n’a d’intérêt içi que parce qu’il s’inscrit dans le contexte beaucoup plus large des considérations écologiques et des limites planétaires (parce que sinon, je n’ai rien contre la compensation phallique, si ça peut apaiser des énervés).

Avec ces considérations en tête et à moins de mauvaise foi, il est difficile de ne pas qualifier le SUV d’aberration écologique, surtout lorsque l’on sait que sa part dans le parc automobile ne cesse de croître (39.2% des immatriculations en 2020 en France, selon le Ministère de la Transition Écologique, contre 5% en 2008).

Le sujet a déjà été amplement traité, donc je vais me contenter de rappeler quelques points habituels. Tout découle d’un problème principal : un SUV, c’est gros et c’est lourd.

PREMIÈREMENT. Plus une voiture est grosse, plus elle consomme (qu’il s’agisse d’essence ou d’électricité). Une bête question de physique : une voiture plus lourde offre une plus grande résistance au roulement, donc elle a besoin de plus d’énergie pour être déplacée. De même, moins la voiture est aérodynamique, plus elle offre de résistance à l’air et donc plus elle a besoin d’énergie pour être déplacée. Les SUVs sont lourds et peu aérodynamiques.

DEUXIÈMEMENT. Des émissions très élevées à la production.

Source : The Guardian

La pertinence de comparer l’impact carbone d’un SUV et d’un vélo ? Si vous habitez en banlieue et travaillez derrière un bureau à Paris, n’essayez pas de me convaincre que le trajet que vous faites en SUV, vous ne pouvez pas le faire en vélo et transports en commun.

TROISIÈMEMENT. Une consommation de matières premières d’autant plus élevée. Rappelons-le, les ressources de la planète ne sont pas infinies et les matières consommées pour produire des chars d’assaut urbains ne pourront pas l’être pour autre chose. La transition énergétique, par exemple…

Source : New Scientist. Cité par le ministère de la défense britannique dans son rapport “Global Strategic Trends” de 2018.

Morale de ce graphique : 38 ans de ressource en cuivre avant qu’il n’y en ait plus à extraire, c’est peu.

Ces bases (re)posées, concentrons-nous sur mon accusation de greenwashing, que j’ai tout de même augmentée du qualificatif “de compétition”.

Pour définir le greenwashing, je ne saurais que trop conseiller la lecture du guide idoine produit par l’ADEME. On y trouve une définition en trois points :

  1. L’utilisation de l’argument écologique alors que l’intérêt du produit ou du service pour l’environnement est minime, voire inexistant ;
  2. L’utilisation de l’argument de développement durable alors que la démarche initiée par l’entreprise est soit quasi inexistante, soit très partielle, peu solide, peu déployée auprès des salariés.
  3. Bref, un message pouvant induire le consommateur en erreur sur la qualité écologique réelle du produit ou sur la réalité de la démarche développement durable.

Prenons-les dans l’ordre :

1. Intérêt minime du produit pour l’environnement : ✅
C.f. ce qu’on vient de raconter plus haut. Dit autrement : pour la planète, le meilleur SUV, c’est celui qu’on ne produit pas (in fine, c’est vrai d’à peu près tout produit… mais 1/ c’est particulièrement vrai des SUVs et 2/ l’écologie ne consiste pas à dire qu’on ne doit rien produire et se laisser mourir — cf le “Doughnut” de Kate Raworth)

2. Utilisation de l’argument du développement durable alors que la démarche initiée par l’entreprise est partielle ou peu solide : ✅
Pour ça il faut creuser au-delà de cette simple campagne publicitaire et regarder un peu ce que fait et publie BMW AG.

En parcourant quelques-unes des dernières communications accessibles sur l’espace presse du site Web, on trouve des choses intéressantes…

Dans le communiqué de presse relatif à la présence de BMW à la COP26 (novembre 2021) :

Sans déconner.
  • Every gram of CO2 counts — no matter where it is emitted” : cf point 1 #dissonance
  • The key to sustainability lies in innovation: in innovative technologies, but also in innovative thinking that accepts no boundaries.” : dans le jargon, on appelle ça du techno-solutionnisme. Doublé d’une négation sémantique des limites planétaires. C’est quand même peu heureux comme choix de mots…
  • BMW Group vehicles currently average around 30% secondary materials. Going forward, the company aims to increase this amount to 50%.” : si on a envie de pinailler, on dira qu’il n’y a pas d’objectif de date lié à ce 50%. On dira aussi que ce sont les 50 premiers % qui sont les plus faciles à aller chercher. Mais bon, je pinaille.

Dans le communiqué de presse relatif au lancement de la campagne publicitaire dont nous parlons (juin 2021) :

  • The company expects all-electric models to account for at least 50 percent of its global vehicle sales as early as 2030.” : si c’était doublé d’une intention de diviser le volume global de véhicules neufs et le poids moyen de ceux-ci par deux, ce serait un vrai engagement pour la circularité et la réduction d’émissions. Mais je n’en ai pas l’impression.

Dans le communiqué de presse relatif aux résultats semestriels de l’entreprise (juin 2021) :

  • Production at all our locations worldwide is already net carbon neutral as of this year. This applies to all our properties and administrative buildings as well.” : la neutralité nette n’existant pas en soi, on se doute qu’elle est ici atteinte au moyen de compensation carbone (confirmé par la lecture d’autres communiqués). Problème de celle-ci : elle se fait souvent à un prix dérisoire, en invalidant l’effet désiré. Aussi, je doute que BMW ait fait prendre le train à ses cadres plutôt que l’avion.

Au-delà du décorticage de communiqués de presse, avoir en tête que BMW s’est déjà fait reprendre par l’autorité britannique de régulation de la publicité sur base d’arguments écologiques fallacieux ou que le groupe s’est vu frappé d’une amende par l’Union Européenne pour avoir entretenu avec les autres constructeurs allemands une relation de cartel visant à ralentir la diffusion de technologies de réduction d’émissions, on peut se permettre de prendre les déclarations de l’entreprise avec circonspection et un soupçon de “mouais, j’demande à voir”.

3. Message pouvant induire le consommateur en erreur sur la qualité écologique réelle du produit : ✅

On est en train de juxtaposer, dans cette campagne publicitaire, le message “Ensemble, nous avons le pouvoir d’agir” avec la promotion d’un véhicule qui pèse 2.4 tonnes à vide (pour comparaison, une Renault 4L, c’était 800kg).

1961 vs. 2015–0.8T vs. 2.5T || 1981 vs. 2021–1T vs. 2.4T

On trouve, de surcroît, des choses pas mal sur le site.

Par exemple, la mention “Émission CO2 : 0g/km” sur le configurateur :

Certes, ils ne font là qu’indiquer ce que leur demande la réglementation en vigueur (la procédure WLTP, pour Worldwide Harmonized Light Vehicles Test Procedure, développée par l’ONU). Mais si la démarche écologique était sincère, il y aurait indication quelque part du fait que les émissions par km d’un véhicule électrique n’est autre que celles du mix énergétique du pays dans lequel la voiture a été rechargée. Dans tous les cas de figure, jamais 0g/km.

Autre élément intéressant à noter, le caractère partiel des choix soutenables dans les finitions du véhicule : similicuir et bois certifiés pour la console… avec option cuir de vache pour la sellerie.

On a donc, mine de rien, quand même bien coché les cases.

II. Une cooptation culturelle millenial-friendly

Par cooptation, j’entends le fait de s’approprier la crédibilité culturelle d’une entité extérieure à la marque pour bénéficier de son aura à moindre effort. En l’occurrence, c’est de l’aura de Coldplay dont il s’agit, puisque c’est leur musique qui rythme le spot publicitaire et que tout cela est fait dans la perspective d’un partenariat de long terme entre constructeur et artistes.

“Higher Power”, chanson dans laquelle Chris Martin dit le mot “electric” quatre fois. Je ne pense pas que ça aille chercher plus loin que ça.

Pourquoi Coldplay ? Les marketeux de BMW vous diront peut-être qu’il n’y a qu’eux à avoir un “brand equity” vraiment aligné avec l’acide désoxyribonucléique du constructeur à l’hélice. Ou, plus pragmatiquement, que le taux de pénétration de Coldplay chez les acheteurs de SUV de luxe est plus important que celui de Jul ou de Sylvie Vartan.

Soit. Mais revenons deux ans en arrière et nous nous souviendrons que Coldplay est le groupe de pop mondialement connu à avoir inauguré une démarche pro-planète forte en annulant ses tournées tant qu’il n’avait pas de solution pour les rendre neutres en carbone. Bigre, sacrée coïncidence, n’est-il pas ? (on passera sur l’ellipse que semble faire Coldplay sur ses trajets en avion et son scope 3 dans ses efforts — il faut bien commencer quelque part !)

Mon accusation de cooptation culturelle revient donc à attribuer aux équipes de BMW la réflexion suivante :

  • Si : BMW = pas très vert
  • Et que : Coldplay = vachement vert
  • Alors : BMW + Coldplay = 💚

Et le côté “millenial-friendly” ?

On touche là à un réflexe bien documenté de l’industrie publicitaire (notamment par l’excellent Bob Hoffman) : ne jamais montrer de vieux dans les publicités. Sauf si c’est pour vendre des monte-escaliers, des couches Tena ou pour jouer le rôle des grands-parents complètement largués dans une pub Fleury-Michon. Qu’importe que les vieux concentrent infiniment plus de pouvoir d’achat que les Millenials.

Dans notre publicité BMW, tout le monde est jeune, svelte, beau. Une ode à cette jeunesse qui change le monde sur fond d’hymne de stade chanté par un groupe eco-fridendly d’idoles des jeunes. Ça vous fait tout chose dans votre petit cœur meurtri d’éco-anxieux, non ?

Eh bien, c’est là qu’on met le doigt sur ce qui m’emmerde le plus avec cette publicité et cette campagne.

III. Du boomer-splaining plutôt effarant

Si la “créa” elle-même est remplie de gens jeunes et beaux, il ne fait aucun doute que la commande a été passée par des tempes grisonnantes climato-dangereuses, tant les messages sont ahurissants de mépris (ou d’incompréhension, si on préfère être bienveillant) pour les problèmes environnementaux et surtout ceux qui se battent contre.

Je m’explique en déroulant le spot complet d’1m10.

Bon, jusque-là, RÀS. Une voiture électrique à la carrosserie élégante et à la calandre raffinée roule face à un soleil dont les rayons éclairent à la perfection sa peinture métallisée (sûrement éco-conçue).
Tiens, il me dit quelque chose, ce slogan.
Cette jeune femme vient d’apercevoir du coin de l’œil une merveille de technologie qui va sauver Planète A. Les autres flâneurs restent le nez dans leur milkshake, mais elle, elle sait.
Ce jeune homme indolent, par contre, a perdu espoir… c’est navrant.
Heureusement que BMW rend à la société le service de le réveiller de sa sieste, celui-là. Parce que les glandeurs qui vivent chez leurs parents en touchant des allocs, ça va bien deux secondes. Merde, quoi.
Oh ! Du bois d’origine certifiée !
Jean-Michel Kaoëlle est ce qu’on appelle un Key Opinion Leader. Il a de la hauteur de vue, il sait de quelles modes et technologies demain sera fait.
Puisqu’il vous le dit.
Et puisqu’on vous dit qu’il a de la hauteur de vue.
Jacqueline, elle, est de celles qu’on appelle les insouciantes heureuses.
Ne lui parlez pas de forçage radiatif ou d’acidification des océans, Jacqueline ne croit que ce qu’elle voit. En l’occurrence, elle voit deux choses : 1/ Que le réchauffement climatique fait fondre sa glace. Pas cool. 2/ Que le nouveau BMW iX va résoudre le problème. Trop cool. (2)
On ne sait pas grand chose de la vie de Pietro. On sait juste que Pietro aime les belles voitures.
Parce que les adolescentes autistes militantes qui nous les brisent avec leurs slogans à la con, ça va bien deux secondes. Chez BMW, on ne fait pas du “blablabla”, nous.
Seule dans ma voiture qui pèse 2.4 tonnes et aurait pu transporter 4 personnes de plus, je partage un petit sourire de connivence avec ce bel étranger qui roule en BMW électrique, lui aussi.
C’est vrai, si on ne peut plus s’auto-congratuler entre conducteurs qui sauvent la planète, où va-t-on ?
Et nous, chez BMW, l’action pour la planète, on peut vous en parler pendant des heures.
(punchline de la créa française) Achetez notre SUV, rejoignez-nous, vous verrez, on va se mettre bien.

Et clap de fin.

Que penser de ce détournement de slogans ?

Tout d’abord, si vous avez déjà travaillé dans la publicité ou avez déjà lu ou regardé 99F, vous savez que dans une publicité, rien n’est laissé au hasard. Tout est intentionnel. La couleur de la veste de la jeune femme de l’image de droite a été débattue. La longueur des cheveux de la conductrice d’iX a été débattue. Le choix de slogans climatiques à récupérer a été ultra débattu.

Ensuite, il faut avoir conscience des différentes parties prenantes qui auront gravité autour de cette campagne :

  • L’agence créative, qui développe l’idée, la storyboarde pour la pitcher au client (BMW, donc) puis, après validation, la fait produire.
  • L’agence média qui récupère le travail de l’agence créative et s’occupe de l’achat d’espace média : c’est un employé d’agence média qui a décidé que moi et les utilisateurs Linkedin avec un profil similaire au mien allaient (beaucoup) voir cette publicité vidéo.
  • L’équipe marketing côté client, qui détermine le budget alloué à la production et à l’achat d’espace média et est globalement la donneuse d’ordre des deux agences, auxquelles elle a communiqué un brief en amont : qui sont les cibles, ce qu’ils pensent, ce qu’ils gagnent, l’image qu’ils ont d’eux-mêmes, ce qu’ils ont envie de voir et d’entendre.
  • Le top management côté client : pas toujours impliqué, mais puisqu’il s’agit ici d’une campagne qui s’attaque de front à un sujet sensible pour faire la promotion du nouveau véhicule “flagship” de la marque, il est extrêmement probable qu’il ait été (très) impliqué dans les cycles de validation.

Ce que nous avons devant les yeux avec cette campagne va plus loin que du détournement. C’est une forme plus vicieuse, un retournement des slogans des militants environnementaux contre leurs porteurs. Si vous êtes encore en train de lire cet article, je vais imaginer que vous êtes à peu près d’accord avec moi que ce retournement innove dans sa disruption du marché du greenwashing.

J’ai envie d’appeler ça du “boomer-splaining”, l’acte d’un comité de Boomers au pouvoir économique certain de déclarer aux jeunes militants environnementaux inquiets pour leur avenir que leurs jérémiades d’enfants gâtés sont usantes et qu’il serait temps qu’ils laissent les adultes et les industries compétentes s’occuper de l’écologie des solutions.

L’hubris est tout à fait effarant.

Deux questions me semblent pertinentes pour décortiquer cela un minimum :

  1. Chez qui, dans la chaîne de décision et de production de cette campagne, se trouve cet hubris ?
  2. S’agit-il d’un hubris conscient ? Autrement dit, les personnes qui ont produit cette campagne savaient-elles pertinemment que leurs postures écologiques relèvent du mensonge habillé de vertu ? Ou avons-nous à faire à des décisionnaires intimement persuadés qu’ils font partie de la solution et que la jeunesse pourrait leur témoigner un minimum de gratitude ? Dit encore autrement et pour revenir à notre introduction : l’enfer est-il pavé de bonnes intentions ou les cons ont-ils tout osé ?

Plusieurs scenarii se dessinent, qui se concentrent principalement sur l’agence créa et le client (l’agence média a rarement son mot à dire dans la conception de la publicité) :

  1. L’agence créative de BMW, en l’occurrence Media Monks (2), a développé le concept en étant convaincue de sa vertu et l’équipe marketing de BMW ainsi que son top management se sont dits dans un grand soulagement de travail accompli pour la planète : “oui, ça, c’est nous”. Tout le monde est rentré chez lui avec la conscience légère et le pas sautillant.
  2. Les gens de Media Monks ont produit un concept qu’ils savaient être du greenwashing et en ont toutes et tous perdu le sommeil pendant plusieurs semaines. Mais, l’argent ne poussant pas sur les arbres et Sir Martin Sorrell n’étant pas particulièrement décroissantiste, il n’était pas question de pitcher autre chose au client qui était, lui, sincèrement convaincu de sa vertu et promettait un très gros chèque.
  3. Nos compères de Media Monks ont produit l’idée, convaincus de sa vertu, et ont réussi à convaincre les équipes de BMW qui y voyaient un greenwashing qui rongeait leurs consciences. Je ne vais pas vous mentir, celui-là, je n’y crois pas.
  4. Media Monks et l’équipe Marketing de BMW avaient conscience de faire du greenwashing et auraient préféré ne pas en faire mais c’est la direction générale qui a opté pour le passage en force. Pareil, j’y crois peu.
  5. Media Monks, les équipes Marketing et la direction générale de BMW avaient parfaitement conscience de faire du greenwashing de compétition, mais vous comprenez, entre une création de valeur actionnariale et la préservation de l’espèce, le choix est vite fait.

Il n’y a que les équipes concernées chez Media Monks et BMW qui savent ce qui s’est vraiment passé dans la tête de chacun tout au long du processus de création et de validation de cette campagne. Encore que, peut-être ne savent-ils même pas ce qu’ils pensent vraiment les uns les autres et ont préféré ranger les convictions profondes de chacun au placard en affichant de fausses convictions.

En tout cas, ce qui me semble très possible est que les juniors de Media Monks qui ont fait des nocturnes pour livrer le résultat final à temps (c’est souvent comme ça que fonctionnent les agences de pub), s’ils ressemblent aux 59% de jeunes très ou extrêmement inquiétés par le réchauffement climatique, ont travaillé dans la dissonance cognitive la plus totale, qui contribuera à leur burn out dans deux ou trois ans. Dissonance qui serait la plus grande côté créa, qui auraient eu conscience d’être auteurs d’un chef d’œuvre de greenwashing, que côté media où trouver le sommeil aurait certes été pénible, mais la conscience de n’être que passeur de plats entre la plume des créatifs et le cerveau de la cible aurait servi de post-rationnalisation.

Cependant, du côté des juniors de l’équipe Marketing de BMW, comme ils sont capables de produire des chefs d’œuvre des réseaux sociaux tels que ceux-ci, je me mets à douter de tout :

Il doit y avoir du génie dans cette folie, quelque part.

Côté management de Media Monks, aux années plus avancées que ses exécutants, ayant également accepté comme client The Climate Pledge, programme de décarbonation et fonds d’investissement de l’homme qui s’est rendu à la COP26 en jet privé juste après avoir fait un voyage dans l’espace pour parler aux leaders mondiaux de la fragilité de la nature, il me semble rationnel de soupçonner qu’ils oscillent entre climato-réalisme mal informé et “rien à foutre” très friedmanien. Mon envie d’être bienveillant me fait plutôt pencher pour l’option “mal informés”.

Et finalement, côté BMW, je soupçonne que le top management a été très “hands on” sur cette campagne avec l’envie de vanter la vertu et les efforts du groupe. Quelque part, je les comprends, leurs Science Based Targets sont plus ambitieux que ceux de Mercedes, Volkswagen et encore plus que Porsche ou Toyota qui n’ont même pas pris la peine d’en formuler. A lire leurs communiqués de presse, on ressent un réel effort, au minimum de communication, sur leur supply chain. Mais la réalité est bête et cruelle : ça n’est pas suffisant. Ça n’est même pas l’ombre du début d’un effort suffisant. Peut-être le savent-ils. Peut-être que ça les tiraille. Peut-être se sentent-ils coincés dans un immense dilemme du prisonnier où être seuls à renoncer aux SUVs serait la perte de leur entreprise.

Mais, franchement, j’ai surtout envie de soupçonner que le top management de BMW n’a pas consacré l’ombre du début du temps nécessaire à la compréhension de la nature urgente, systémique et irréversible du dépassement des limites planétaires.

Ce sont des gens très occupés, après tout.

Notes

(1) Il est à noter que la majorité des clients de SUV sont les résidents de banlieues pavillonnaires, en périphérie des grandes villes, donc, et pas à l’intérieur de celles-ci. Cela ne change pas grand chose à mon sens aux bonnes et mauvaises raisons d’acheter un SUV. Je ne saurais cependant pas dire si cela reste vrai pour les SUVs qui coûtent plus de 100k€, comme c’est le cas pour le BMW iX. Dans tous les cas, si dans les rues de Paris (ou ailleurs) vous vous prêtez à l’exercice de compter le nombre de SUVs que vous voyez, vous confirmerez les statistiques nationales qui nous disent qu’ils sont partout.

(2) Et on a évidemment noté le jeu de mots sur “cool”, entre “frais” et “stylé”. C’est à s’en taper la tête contre son, clavier.

(3) Entité de S4Capital de Sir Martin Sorrell, lui-même anciennement chairman de WPP, plus gros conglomérat publicitaire mondial — là j’avoue que j’ai du mal à être 100% sûr du rôle de Media Monks : créa, media ou les deux — l’information partielle glanée pendant mes recherches tend à m’indiquer que c’est les deux.

--

--